Voici un extrait de mon tout premier roman anciennement intitulé Krav Maga, quand les femmes affrontent la violence. Il est renommé : Le Protège-toi, tome 1. Je vous laisse découvrir…

Première phase :

LE RECRUTEMENT

De dos, impossible de ne pas baisser les yeux, pour regarder ses fesses se dandiner dans sa jupe en jean. La petite blonde marchait derrière son grand conjoint. Il avait pris de l’avance comme d’habitude. Leur fils ne cessait de faire des aller-retours en zig-zaguant sur le trottoir. L’évènement avait sûrement dû commencer depuis quelques heures déjà, et il y aurait beaucoup de monde, mais Jeanne se sentait suffisamment forte pour affronter la foule. Apprêtée, cheveux blonds lissés, ongles vernis, la jeune femme d’une trentaine d’années bien tassées, avait fermé la porte de la maison et traversé la rue. Les talons, ce n’est pas très pratique pour aller se promener toute la journée mais c’est tellement plus chic. Jeanne se sentait bien. Elle était plutôt fière d’elle. Elle ne s’était pas sentie aussi belle depuis longtemps. Elle était confiante. Elle était souriante, du moins en donnait-elle l’air.

Comme beaucoup d’autres villes, Prenaye organisait sa fête du sport ce premier week-end de septembre. Jeanne était encore dans l’euphorie d’avoir enfin réussi ce fichu concours ; sa vie professionnelle allait changer, comme elle l’espérait depuis une dizaine d’années maintenant. Elle n’était pas si nulle finalement. En tous cas, la jeune femme se le répétait beaucoup, le tout était de s’en convaincre.

Le Jard avait été réquisitionné pour l’occasion ; c’était tout de même la grande place de la ville, le lieu où tous les événements importants se tenaient, le lieu où il fallait donc être, en ce samedi ensoleillé. On n’avait pas hésité à déboulonner les jeux des enfants pour laisser place aux nombreux stands et il y en avait pour tous les goûts : d’un côté, de grosses gymnastes tentaient désespérément d’être gracieuses, sous l’œil compatissant de la famille ou les sourires moqueurs des passants. Ailleurs, un ring installé pour la boxe anglaise, juste en face des tutus blancs, impressionnait petits et grands. Plus loin, on pouvait essayer l’escrime ; la tenue vite étouffante pour un débutant permettait de ne pas faire la queue trop longtemps. De l’autre côté, on démontrait la rigueur du karaté tandis qu’à gauche, le club de running côtoyait le club d’athlétisme dans une certaine logique. Jeanne aurait pu se diriger immédiatement vers les stands de danse, quelle qu’elle soit d’ailleurs. Mais il n’en était pas question. Son ancienne vie ne lui manquait pas ; trop de mauvais souvenirs, trop de blessures à l’âme la maintenaient à distance de cette passion d’autrefois. Aussi fuyait-elle particulièrement ce genre de stand comme l’ancien alcoolique tourne les talons à la vue d’un verre posé sur le comptoir.

La petite danseuse d’autrefois n’avait nullement l’intention de reprendre le sport mais pour une fois qu’il se passait quelque chose dans cette petite ville, il fallait en être. Le monde était là, et c’était l’occasion pour tous de se montrer, de parader dans sa tenue, de se faire payer un blida, peut-être même de réellement trouver un sport pour inscrire le petit dernier.

Le couple s’arrêta tout d’abord au stand de natation pour y confirmer l’inscription de leur fils. Ils discutèrent longtemps avec les maîtres-nageurs. A parcourir les mêmes écoles, les mêmes supermarchés, les mêmes colos, la même boîte de nuit, la même piscine, les mêmes cafés, les mêmes restaurants et les mêmes fêtes foraines des villages environnants, tout ce petit monde-là connaissait forcément le cousin de la copine du fils du boulanger.

Jeanne, très souriante – comme elle avait appris à le faire grâce aux émissions de télé-réalité – s’appliquait pour respecter tous les codes qu’elle croyait avoir compris au fil de ces années et correspondre à ce qu’on attendait d’une femme de son âge. Elle et sa petite famille poursuivirent leur promenade en s’arrêtant presque à chaque stand, pour au moins dire bonjour. Ses anciennes collègues la félicitèrent grandement pour son concours tout en étant désolées pour le petit.

  • L’année de CP, ce sera la pire, maman ne sera pas là… lui glissa la directrice d’une école dans laquelle Jeanne avait fait quelques remplacements. Il risque de rater son année… Enfin, cela sera difficile mais pas impossible sûrement… L’école est sur Paris ? Attention à la fatigue tout de même, il ne faudrait pas qu’il ait une maman dépressive ce petit. Il est déjà tellement « spécial », avait-elle ajouté tout en posant sa main compatissante sur le bras de Jeanne. Et du coup, comment allez-vous faire pour aller le chercher à l’école ? C’est votre mari qui va être obligé de tout gérer ? le pauvre… Mais c’est possible ça avec une entreprise ? Ça ne va pas la faire couler ?
  • Ça ne devrait pas poser de problème, nous allons nous organiser.

Jeanne encaissa sans broncher. Elle ne s’était pas énervée, n’avait pas soupiré, n’avait insulté personne. Elle en était encore plus fière. Mais cela avait été facile d’être plus mature cette fois, puisqu’au moins, elle l’avait réussi, elle, ce concours.

De la danse classique, Jeanne n’en avait gardé que la démarche peut-être. La grossesse avait enveloppé définitivement son corps, les années commençaient à se voir sur son visage – impossible d’y échapper – mais elle se sentait bien partie pour redevenir jolie. Excepté pour la danse qui n’est considérée comme un sport par personne, elle n’avait finalement jamais été très douée. Elle misait bien plus sur l’habillement que sur le sport.

Le roller, par exemple, ce n’était pas fait pour elle mais le stand sur lequel ils arrivaient, était occupé par son ami d’enfance. Pas besoin de pratiquer donc, quand on est chez les copains, on se sent un peu chez soi. Jeanne n’avait jamais réussi à se faire à l’idée de ces endroits serrés, où il ne faut pas trop regarder à la propreté du banc sur lequel on s’assied. Mais pour discuter avec les amis, pas le choix, bien obligée de suivre les us et coutumes. C’est ainsi que Madame et son compagnon se retrouvèrent installés sur un banc, le plus simplement du monde, à rire, boire un verre et manger à la barraque à frites. Les tables disposées en ligne n’offraient que peu de place pour passer jusqu’au manège carré. Ce lieu stratégique avait hérité de ce nom, car on y avait la tête qui tourne en fonction du nombre de coupes de champagne et de blidas avalés. Il s’agissait tout simplement d’un carré, formé par les tables, pour empêcher les ivrognes notoires et les sans-gênes d’aller se servir par eux-mêmes. Toute une équipe s’affairait à l’intérieur de ce carré pour servir ceux qui criaient leurs commandes, assez fort pour être entendus. Jeanne ne se risquait jamais jusque-là. Elle était bien trop petite pour être vue derrière une rangée d’hommes enivrées et pas assez docile pour supporter les mains aux fesses. Elle préféra rester assise à discuter et à écouter les autres raconter les potins du moment, les clins d’œil envoyés à la secrétaire du Dr Dunod, les coups de gueule poussés au boulot. Assise face à son meilleur ami et calée entre son fils et son conjoint revenu à table avec la commande, Jeanne se sentait bien, entourée physiquement et donc protégée, ne serait-ce qu’un instant. Elle écoutait tout en observant, souriait quand il le fallait mais il fallut tout de même reprendre la promenade. Personne ne s’était jamais imaginé combien se plonger dans la foule, lui était particulièrement pénible. La jeune femme se sentant comme un poisson hors de son bocal, s’était tellement entraînée à ce genre de situations, que les inconnus et même son entourage n’y voyaient que du feu.

Elle vérifia donc son vernis, remit du rouge-à-lèvres et un sourire sur sa face, ingrédients indispensables selon elle pour coller au personnage de maman chic et bien dans sa peau. La petite famille arriva alors sur le stand du karaté, et si on inscrivait le petit ? Cela pourrait aider leur fils, il était d’un naturel tellement gentil ! Il ressemble à son père, pensait la jeune femme satisfaite. Mais elle savait que quelques camarades commençaient à le prendre pour bouc-émissaire. Il était si sensible et Jeanne savait bien que la sensibilité n’est pas une qualité appréciée chez les autres humains. Romain refusa tout d’abord d’essayer mais le fils du professeur de karaté, âgé d’à peine deux ou trois ans de plus, vint proposer de lui montrer quelques prises, au calme. La jeune femme attendit sous un soleil de plomb et prenait sur elle pour rester à ne rien faire. Il fallait vraiment qu’elle l’aime ce petit pour supporter rester là, sans occupation, sans bouger, ou du moins en tortillant ses mains ou en passant inconsciemment d’une jambe sur l’autre le plus discrètement possible. L’attente lui parut interminable et elle ne l’aurait fait pour personne d’autre, c’est certain. Aussi, elle fut ravie de voir que ses efforts avaient payé ; il acceptait de commencer le karaté juste pour voir.

Tout était pour le mieux. Elle commençait une nouvelle vie, trouvait des solutions pour le petit. Pour la première fois depuis longtemps, elle se décontractait. Pour une fois, elle ne se posait aucune question. Jeanne était bien. Pour une fois, elle respirait. Elle ne se sentait pas invisible, ou du moins, pour une fois, elle n’avait plus envie de l’être. L’erreur a sûrement été là : une fausse impression de confiance en soi, un sentiment de bien-être, un manque de vigilance et le filet d’un piège lancé juste devant elle. Toutes les conditions étaient réunies. Les mauvaises rencontres se font surtout quand vous n’êtes pas sur vos gardes.

Sur le stand suivant, même installation : des tapis en guise de tatami, des barrières pour délimiter un espace suffisamment grand, dans lequel des hommes se bagarraient avec agilité. Une femme était là aussi. Pas très grosse, pas si grande, ni très musclée, coiffée à la garçonne, sans poitrine ni sourire, elle semblait plutôt à l’aise dans ce sport. Tous ressemblaient à monsieur et madame tout le monde, pas d’enfants sur le tatami ni de boxeurs professionnels. Leurs uniformes ne ressemblaient pas à ceux des autres sports. Pantalons noirs, tee-shirts blancs, c’était sobre, simple. Une immense banderole Krav Maga et un symbole.

J’espère que cet extrait vous aura donné envie de lire la suite 😀